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QUAND L'ART EST UNE HISTOIRE DE FAMILLE / Elsa Bastien, 2011

מרים חורי | ג׳רוזלם פוסט
מרים חורי | ג׳רוזלם פוסט

QUAND L'ART EST UNE HISTOIRE DE FAMILLE /  Elsa Bastien

Miriam Houri Gutholc​ expose à la galerie Beit Sokolov de Tel-Aviv un art abstrait aux formes généreuses. Son inspiration: la mér nourriciére. Un juste retour aux sources pour celle qui a fait seule son aliya à 10 ans

La maison de Miriam Houri Gutholc se niche à Ramat Hasharon, banlieue chic de Tel-Aviv. Le jardin a des allures de petit paradis peuplé de sculptures de pierre, à peine troublé par le chien de la famille. L'artiste prépare son exposition à Beit Sokolov, une galerie de la Ville blanche. En attendant, les sculptures sont soigneusement emmitouflées prêtes à être transportées.

A 71 ans, après une vie consacrée à l'art, Miriam Houri Gutholc n'en est pas à sa première exposition. De Gafsa - petite ville du sud de la Tunisie - à Tel-Aviv, son chemin n'était pourtant pas tracé d'avance.

En 1951, Miriam a dix ans et une amie dont la maison regorge de jouets. Une caverne d'Ali Baba pour cette petite religieuse ultra-orthodoxe. "On ne jouait pas avec les poupées, se souvient-elle, elles étaient perçues comme des idoles". Un jour, la mère de son amie l'accuse d'avoir volé l'une d'entre elles. L'a-t-elle "chipée", la lui a-t-on donnée? Peu importe. "Les gens qui volent vont en prison", l'avertit la Mère de famille, mariée au maire de la ville. Apeurée, Miriam n'a plus qu'une idée en tête: s'enfuir.

Au meme moment, des emissaires de l'Aliyat Hanoar de l'agence juive proposent à des familles, souvent en difficulté, de laisser leurs enfants émigrer en Israël. Miriam tanne ses parents. Très réticents,ils se laissent finalement convaincre. Le jour du départ, à 5h du matin, sa famille l'entoure pour lui dire au revoir. "Si quelqu'un me dit reste, je reste". Mais personne ne connaît le véritables raisons de son départ, et la petite fille embarque seule pour un long voyage. La France d'abord, durant huit mois, puis Israël. La fête de Pessah bat son plein, mais au kibboutz Negba où elle atterrit par erreur, les habitants mangent indifféremment des matzot - pains azymes et du pain levé. Sa cousine et son mari installés en Israël la sortent de ce kibboutz laïc et l'adoptent jusqu'a l'arrivée de sa propre famille dix ans plus tard. Sa nouvell "mère" a seulement huit de plus qu'elle.

"J'ai vu l'Holocauste de tellement près"

Arrivée seulement trois ans après l'indépendance d'Israël, en 1948, Miriam arrive dans un pays où tout reste à faire. "Il fallait construire, inventer tout un pays!" raconte-t-elle, encore enthousiaste. "il n'y avait pas grand-chose à manger, on avait même des tickets de nourriture. Mais on était heureux".

A Kfar Shalem, sa rue est une petite Babel. Elle résonne des toutes les langues de ses nouveaux immigrants. Qu'ils viennent de Tunisie, du Maroc, d'Iran, d'Irak ou de Pologne, tous sont irradiés d'espoir. Parmi eux, des survivants de la Shoah. Miriam se souvient de ce jeune couple, qui avait trois filles d'une vingtaine d'années. Nièces, cousines? En tout cas, aucune n'était la leur. "J'ai vu l'Holocauste de tellement près, tellement jeune", reconnaît l'artiste aujourd'hui.

Si elle adorait et adore toujours sa famille d'adoption, rien n'est facile pour cette petite fille qui doit apprendre à vivre sans ses parents. "Je n'ai jamais regretté, appuie-t-elle. Sans ma catastrophe, je ne serai jamais arrivée où je suis. À Gafsa, il n'y avait pas d'école juive au-delà de l'école primaire puisque dans le secondair, les élèves devaient aller en cours pendant Shabbat. Mes soeurs n'ont pu faire d'études".

Sa famille la rejoint finalement dans en 1960, et tous emménagent à Rishon Letsion. Au même moment, elle obtient son diplôme d'institutrice et enseigne quelques années. Mais dans sa tête trotte toujours sa passion pour l'art, "un besoin". C'est à l'âge de 26 ans qu'elle l'assouvit en s'inscrivant à l'institut d'art Avni, à Tel-Aviv, où elle étudie quatre ans. Aujourd'hui, elle donne des cours dans son propre studio et plusieurs de ses élèves sont désormais des sculpteurs établis. "Quand ils commencent avec elle ils ne partent plus, certains viennent depuis quinze ans!" sourit David Gutholc, son mari.

"Quand on enseigne, qu'on donne sincèrement, cela assèche la créativité, il ne reste rien pour soi", affirme Miriam, qui n'a plus touché à la terre glaise, matériau le plus utilisé par les élèves, depuis bien longtemps. Seule solution: ne jamais cesser d'inventer. Elle commence par ramener de promenades des branches dans lequel elle incruste de la pierre longuement travaillée.

El il y a cinq ans, c'est par hasard qu'elle découvre encore une nouvelle technique. Tout en regardant la télévision, elle joue machinalement avec du papier d'aluminium, vestige d'une tablette de chocolat. Des figures fines et délicates prennent forme entre ces doigts, rappelant des silhouettes de Giacometti. Elle développe cette technique, invente des armatures en ferraille pour pallier la fragilité du matériau et fait grandir ces créations. Vingt de ces sculptures - soit en papier d'aluminium soit coulées par la suite en aluminium ou en bronze - ainsi que dix oeuvres mariant le bois à la pierre sont présentées à Beit Sokolov.

Miriam Houri Gutholc expose également une installation, en papier d'aluminium, inspirée par une photographie d'un champ de fleurs jaunes.

A Ramat Hasharon, son salon témoigne de son travail jusqu'à aujourd'hui, où l'abstrait domine: quel que soit le matériau utilisé, Miriam travaille et stylise les formes jusqu'à ne garder que l'essence de ce qu'elle veut représenter. Une femme aux formes généreuses a inspiré nombre de ses sculptures. Signe de l'importance de la figure de la mère nourricière pour l'artiste, que son mari David Gutholc - qui lorsqu'il ne sculpte pas, produit lui-même son vin - décrit comme une grande féministe.

En tout cas, de la mère de Miriam "qui cuisinait avec les yeux et chaque plat était esthétique" à sa petite-fille qui du haut de ses sept ans dessine des merveilles, l'art semble être une histoire de famille.

Exposition "Foils" du 10 au 28 février, Beit Sokolov, Tel-Aviv

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